Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article ARVALES FRATRES

ARVALES FRATRES. Collége de prêtres chargé du culte de la divinité agricole appelée DEA DIA et remontant à la plus ancienne époque de la religion romaine, puisque Romulus passait pour l'avoir organisé. Suivant la tradition transmise par Masurius Sabinus par Rutilius Geminus 2, par Pline le Naturaliste 3, le collége des Frères Arvales fut constitué, dans le principe, par les douze fils d'AccA LARENTIA. L'un d'eux étant mort, Romulus prit sa place, et le nombre des Arvales resta toujours fixé à douze. Ils se donnaient le titre de frères pour rappeler leur origine commune. Les auteurs 4 ont indiqué expressément que le culte desservi par les Arvales se référait à l'agriculture (le nom seul de ces prêtres l'eût d'ailleurs prouvé), mais aucun n'a parlé des cérémonies de Dea Dia et n'a même nommé cette déesse. Son existence, aussi bien que les détails des sacrifices accomplis en son honneur, n'aurait donc laissé aucune trace si l'on n'avait retrouvé de trèsnombreux fragments des Actes des frères Arvales, gravés sur la pierre. Aucun collége sacerdotal ne nous a légué une telle abondance de documents, et bien que ce soit l'un des moins importants de la Rome antique qui s'offre ainsi dans les conditions d'étude les plus favorables, ses Actes [ACTA] ne laissent pas que de jeter quelque lumière sur la physionomie de l'ancien culte romain, qui offrait, dans toutes ses branches, un caractère assez uniforme. Ils Erlangen, 1873 ; Dureau de la Malle, Économie politique des Romains, I, p. 127, 242, 243 ; II, p. 488, 313, 398 ; p. 77, 367, Paris, 1840 ; Serrigny, Droit publie roRechts, 3e édit. Bonn, 1860, ne. 29, 33, 198, 199, 211, 456, 498, 344, 400, 409, 422. Leipz. 1864, t. I, p. 75 et suiv.; Grivaud de la Vincelle, Arts et métiers des anciens, Leipz. 1867, p. 1 et s.; 45, 75, 41 ; 113 et s. ; 223 et s.; 285 et s.; 353 et s. ; Maignien, 3e éd. I, p. 153. 3 Thucyd. V, 47. constituent la matière d'un ouvrage admirable pour la patience et l'étendue des recherches et la solidité des conclusions, composé par G. Marini, à la fin du siècle dernier'. Le temple de Dea Dia, entouré d'un bois sacré ['ainsi, et voisin d'autres édifices que mentionnent les Actes, tels qu'un cirque, un Tetrastylum, un Caesareum ou édicule consacré aux empereurs divinisés, était situé sur la via Campana, à cinq milles de Rome', It n'existe plus aucun vestige de cette voie, mais l'emplacement du fucus est connu avec certitude. Dans la vigna Ceccarelli, située à Affoga l'Asino, à quatre milles de Rome, sur la via Portuese, on a mis au jour au xvie siècle, et plus récemment à la suite de fouilles nouvelles, des fragments d'architecture et de sculpture, et de nombreuses inscriptions qui ne laissent aucun doute sur la situation du sanctuaire des Arvales, situation méconnue par Marini, sur des renseignements mal interprétés 7. Le terrain appartenant aux Arvales dut être attribué au trésor public en 382, en vertu du célèbre décret de Gratien e. Mais le temple de la déesse resta debout, protégé par une loi de Constant, promulguée en 342. « Quoique notre intention, dit cet empereur, soit assurément de détruire la superstition, nous voulons pourtant que les bâtiments des temples qui sont hors des murs de Rome restent intacts et préservés de toute dégradation. Car, comme c'est à l'occasion de plusieurs d'entre eux qu'ont pris naissance les jeux du cirque et les solennités, il ne faut pas détruire ce qui fournit au peuple romain ses plaisirs accoutumés s. » Or, ainsi que nous le verrons, la fête de Dea Dia était l'occasion de courses de chevaux et de chars, En fait, il subsiste, dans la vigna Ceccarelli, des restes assez considérables de constructions antiques. De plus, des dessins conservés à Florence et exécutés au commencement du xvie siècle, prouvent qu'à cette époque le Caesareum était encore debout, avec ses niches garnies de statues d'empereurs revêtus du costume des Arvales qui est décrit plus loin. Les actes du collége des Frères Arvales furent gravés d'abord sur les murailles du temple, puis sur celles du Caesareum et du Tetrastylum, et enfin, quand ces surfaces n'offrirent plus d'espace disponible, sur les exèdres et les balustrades qui ornaient les diverses parties du bois sacré. Le temple, comme nous l'avons dit, fut respecté au ive siècle; mais les autres monuments, moins efficacement garantis par la loi de 342, et dont la démolition plus facile offrait des matériaux tout taillés pour des constructions nouvelles, furent bientôt détruits. Les pierres que l'on en tira, toutes couvertes d'inscriptions, furent transportées à Rome, où la plupart furent immédiatement dénaturées et sont à jamais perdues. Au contraire, les inscriptions gravées sur les parois du temple et des autres grands édifices restèrent à leur place : l'action du temps les a lentement détachées des murailles, mais elles sont tombées au pied même des massifs qu'elles revêtaient, et c'est là qu'on les retrouve aujourd'hui. Ces faits que M. 3.-B. De' Rossi a mis en lumière, grâce à la recherche patiente des circonstances au milieu desquelles s'est opérée la découverte de chacun des fragments actuellement connus, expliquent comment les actes les plus récents des Arvales, contemporains de Caracalla, d'Éliogabale, d'Alexandre-Sévère, ont été trouvés à Rome dans des décombres antiques, comment au contraire les plus anciens ont été tirés, au xvie siècle, du sol consacré à Dea Dia. On comprend aussi pourquoi ceux que les fouilles de 1867 et 1868 ont mis au jour dans le même endroit appartiennent tous au premier siècle de notre ère. Les deux dernières catégories proviennent du temple ou du Caesareum; la première est formée par quelques débris sauvés des petits monuments utilisés pour des constructions dans la capitale. Malheureusement les inscriptions les plus anciennes, qui sont aussi les plus nombreuses, sont en même temps les moins détaillées. A mesure que la tradition du culte desservi par les Arvales s'oblitérait, que le motif des cérémonies paraissait plus bizarre et que s'effaçait le sens des symboles, les scribes du collége prirent plus de soin et se donnèrent plus de peine pour décrire minutieusement les circonstances de la fête 10. Il semble qu'ils voulaient dispenser leurs successeurs de tout effort d'interprétation ou de mémoire. La table xLle de Marini, procès-verbal des cérémonies de l'an 218, est extrêmement détaillée, et c'est seulement avec son aide qu'on peut donner de ces cérémonies un récit à peu près complet. Le nombre des Frères Arvales resta fixé à douze, comme nous l'avons dit, mais le collége était rarement au complet, ou plutôt tous les membres ne se croyaient pas tenus de faire acte de présence aux cérémonies, car le nombre des assistants, toujours inscrits nominativement dans les procès-verbaux, est variable et n'a point dépassé neuf dans les monuments aujourd'hui connus. La dignité d'Arvale était viagère, et celui qui en était revêtu ne s'en voyait priver ni par la captivité ni par l'exil ". Avant l'établissement du principat, le collége se recrutait par cooptation, c'est-à-dire que les membres survivants élisaient, à la pluralité dos suffrages, leur nouveau collègue. Le vote avait lieu au scrutin secret (per tabellas), comme le montre le procès-verbal d'une élection faite sous Auguste'', à un moment où les anciens usages n'étaient pas encore tombés en désuétude. Mais ce prince ayant reçu le droit, qu'il transmit à ses successeurs, de créer des prêtres dans les divers colléges, même au delà du nombre prescrit par le règlement du collége 13, les Arvales furent le plus souvent nommés par les empereurs, ainsi que les actes en témoignent. Les Frères se réunissaient pour la forme, mais ne délibéraient plus. Ils décoraient néanmoins leur obéissance du nom de cooptatiol'. Outre les douze fratres, il y avait dans le collége quatre puer i, lesquels devaient être INGENUI, MATRIMI ET PA'TRIMI, senatorum flit(on ignore si cette dernière condition était indispensable). Ils assistaient les fratres dans les sacrifices, et c'est sans doute parmi ceux qui avaient rempli ces fonctions que l'empereur choisissait les candidats qu'il désignait pour remplacer les membres décédés du collége. Les inscriptions nomment encore des ministri, des CALATORES, des SCRIRAI: attachés au service des Arvales. Le chiffre total du personnel n'est pas connu. Un acte de l'année 81 établit que certaines places furent réservées au collége sur les gradins du Colisée u. Ces places n'étaient pas contiguës, mais réparties dans trois régions du théâtre, savoir : dans le Ter moenianum au xll' cuneus, sur 8 gras dins ; dans le I1° moenianum, au vi° cuneus, sur 4 gradins ; au moenianum in ligneis (c'est-à-dire à la partie supérieure de l'édifice), à la Luit tahulatio, sur deux gradins. Chaque catégorie répond évidemment à quelque degré de la hiérarchie des Arvales ; l'inscription ne fait pas connaître le nombre des places attribuées à chaque catégorie, mais seulement l'étendue qu'elles représentent. Les trois catégories constituaient un espace de 129 pieds et demi réservés aux Arvales, ce qui, en donnant à chaque place une largeur de 2 pieds, ferait monter à 64 le nombre des membres de tout grade. Malheureusement c'est là un calcul hypothétique qui ne peut nous instruire avec précision du nombre des Arvales, ni éclairer les architectes sur la disposition des Moeniana. Le collège était présidé par un Magister, élu au mois de mai, pendant la fête de Dea Dia, mais n'entrant en charge qu'au 17 décembre suivant. Il était nommé, disent les actes, n ex Saturnalibus primis in Saturnalia secunda. » Il pouvait être réélu. Souvent, pour faire honneur à l'empereur, les Arvales le nommaient leur Magister, et le prince se faisait remplacer par un Pro-Magister. En tout cas, un Pro-Magister était nécessaire pour suppléer le Magister malade ou empêché. On ignore dans quelles conditions il était nommé. A la fête de Dea Dia, on élisait également un Flamine [FLAMEN], remplacé, en cas de besoin, par un Pro-Flamen. Pendant l'accomplissement des sacrifices, les Arvales étaient revêtus de la prétexte [PRAETEXTA]. Leurs insignes, qu'ils prétendaient tenir de Romulus (inscrit sans doute, dans leurs fastes , en tête de la liste des .7agistri) étaient des couronnes d'épis attachées par des bandelettes de laine blanche [INFULA]. Cette couronne figure sur plusieurs médailles frappées pendant la période républicaine 76. Borghesi a, le premier, reconnu dans ce type la couronne des Arvales t7. Le musée du Louvre possède un buste d'Antonin le Pieux couronné d'épis, c'est-à-dire en costume de Frère Arvale "a. Le buste de Marc-Aurèle avec le même attribut représenté (fig.510),appartientauMu sée britannique". Les sta tues impériales du Caesa reum, encore en place au aussi cette couronne On la voit aussi figurée sur une base de trépied du musée du Louvre 21 (fig. 541) entre deux bouquets d'épis. Le culte de DEA DIA était le but essentiel de l'institution des Arvales. La fête de cette divinité, analogue ou identique à ors et à ACCA LIRLNTIA, était célébrée au mois de mai et durait trois jours. L'époque n'en était pas fixe, mais chaque année au mois de janvier, le Magister faisait connaître à quelles dates auraient lieu les divers actes qui la constituaient. C'étaient les xvf, xmt et xnf ou les vi, nn et nt des kalendes de juin, c'est à-dire les 17, 19 et 20, ou 27, 29 et 30 mai. On ignore ce qui déterminait le choix entre ces deux périodes. L'indiction, faite à Rome, n'avait pas elle-même lieu à un jour fixe de janvier : dans les actes actuellement connus, on n'en trouve pas d'antérieure au 3 janvier, ni de postérieure au 13 de ce mois. Des termes de celle du 7 janvier 91, il résulte que le premier jour de la fête se passait à Rome dans la maison du Magister. Le deuxième, surlendemain du précédent, se passait en grande partie dans le bois sacré et se terminait à Rome. Le troisième, lendemain du deuxième, était employé comme le premier. Nous n'avons donc à faire connaître que I'emploi des deux premières journées ; la table xrl° de Marini en donne un compte rendu détaillé. Les parties mutilées de ce long texte se restituent sûrement au moyen des autres tables qui concourent ainsi à rétablir, dans son intégrité à peu près absolue, le monument le plus célèbre et le plus intéressant du recueil. Malheureusement l'acte est rédigé d'une façon diffuse, inégale et maladroite; en outre, beaucoup des termes techniques que l'on y rencontre ne sont pas encore bien expliqués. Nous ne pouvons donc en donner ici une traduction, qui seule, pourtant, mettrait le lecteur en état d'apprécier le formalisme puéril et minutieux de la liturgie romaine, et Ies lenteurs solennelles que l'ancien culte apportait à chaque partie du sacrifice. Il faut se reporter au commentaire inappréciable de Marini, aux pages consacrées par Preller aux Frères Arvales, dans sa Mythologie romaine, pour connaître tous les détails de la fête célébrée en l'honneur de Dea Dia : nous n'en offrons ici qu'une analyse. Premier jour, à Donne, Au lever du soleil, les Arvales revêtus de la prétexte et couronnés d'épis attachés avec des bandelettes de laine blanche, offraient à Dea Dia un sacrifice non sanglant. On répandait du vin, on brûlait de l'encens, on consacrait des fruits ou grains réservés de l'année précédente et ceux de l'année courante (fruges arides et virides), ainsi que des pains entourés de branches de laurier. Au commencement et à la fin de la cérémonie, la statue de Dea Dia était enduite de parfums. Quittant alors leurs prétextes, les Arvales se baignaient; puis, dans l'après-midi, vêtus de blanc, ils faisaient en commun un repas auquel prenaient part les quatre pueri, leurs acolytes. Au milieu de ce repas, ils reprenaient leurs prétextes, recommençaient la cérémonie de la matinée avec le vin et l'encens, et procédaient à d'autres consécrations de fruits. Cela fait, on allumait les flambeaux, on partageait entre les Frères des mets sucrés et des couronnes de roses ; chacun recevait en outre une sportule [SPORTULA] de 'OO deniers (celle des pueri n'était que de 25 deniers), et on se séparait au cri de féliciter '°. ARV Deuxième jour, au bois sacré. Comme il était défendu d'entrer dans le bois sacré avec du fer, et que l'introduction d'instruments tranchants était indispensable pour accomplir les sacrifices, le Magister ou Pro-Magister venait seul faire, le matin , un sacrifice expiatoire (coinquire lucum et opus facere). 11 immolait deux porcs et une génisse, retirait leurs entrailles, les faisait bouillir et les plaçait sur l'autel suivant le rite consacré Y3. ll consignait dans un procès-verbal qu'il avait accompli ces opérations préliminaires, dépouillait sa prétexte et attendait dans sa tente, près du temple de Dea Dia, l'arrivée des Arvales qui ne se réunissaient que dans l'après-midi. Aussitôt rassemblés, ces derniers, revêtus de la prétexte et couronnés d'épis, mangeaient la chair des victimes immolées le matin et attestaient l'accomplissement du sacrifice expiatoire. Puis ils montaient au bois sacré, où le Magister immolait une brebis grasse dont il inspectait les entrailles. C'était là le véritable sacrifice à Dea Dia. Il était suivi de diverses cérémonies, dont plusieurs étaient accompagnées de gestes symboliques se rapportant évidemment au culte des anciennes divinités agricoles. Ainsi deux frères allaient chercher des grains que l'un offrait à son compagnon en les tenant dans la main droite; le second les recevait de la main gauche, puis les rendait au premier, et tous deux les remettaient aux ministri. Ensuite, dans le temple ouvert aux regards du peuple, on bénissait des urnes (ollas precati surit) semblables pour la forme et pour la matière [OLLA] à celle dont Numa, suivant la tradition, se servait dans les sacrifices qu'ils avaient institués 31, on se partageait des pains ornés de branches de laurier, avec des raves et un autre légume (lumemulia cum rapinis). Puis les Arvales rentraient dans le temple, fermaient les portes, relevaient leurs tuniques, et dansaient autour de l'autel en chantant le célèbre Carmen, qu'ils comprenaient sans doute aussi peu que les Saliens leurs litanies, et dont la traduction généralement acceptée est, on le conçoit, fort approximative. e Lares, venez à notre aide (trois fois). Mars, ne laisse pas tomber la mort et la ruine sur la foule. Sois rassasié, féroce Mars. Toi (à un des frères), saute sur le seuil! Debout! frappe [le seuil]. Vous d'abord, vous ensuite, invoquez tous les Semones. Toi, Mars, sois-nous en aide. Sautez (cinq fois)'. n Le fait que chaque phrase est répétée trois fois donne Iieu de penser que les Arvales se divisaient en trois groupes pour exécuter le tripudium. M. Mommsen suppose que limen sali! stal berber1 s'adresse à l'un des Arvales. Preller, au contraire, admet que cette phrase s'adresse à Mars, et réunissant sta berber, il traduit : rentre dans ton tem pie, cesse de frapper (tes chevaux) 26. Les divinités invoquées sont, comme on le voit : 1° les Lares que représentaient les fils d'Acca Larentia ; 2° les Semones, morts divinisés ou, suivant d'autres auteurs, divinités agricoles [sEMO]; 3° enfin Mars, dont Caton l'Ancien recommande -ARV le culte à l'occasion des AMSARVALIA domestiques 17. Le chant terminé, les Arvales remettaient à leurs desservants les libelli ou livres liturgiques, dans lesquels ils avaient lu les paroles consacrées, et ils procédaient à l'élection du Magister et du Flamen pour l'année suivante. Puis venait un repas commun, à la suite duquel avaient lieu, dans le cirque voisin du bois de Dea Dia, les courses de char et les exercices des desultores. Les prix donnés aux vainqueurs étaient des palmes et des couronnes d'argent. Ces couronnes étaient probablement formées d'épis. A la fin de la journée, le collége rentrait à Rome pour prendre, dans la maison du Magister, un nouveau repas, terminé, comme celui de la veille, par une distribution d'argent. Troisième jour, à home, dans la maison du magister.Les cérémonies de ce jour étaient, comme nous l'avons dit, la répétition de celles qui avaient été accomplies le premier. Tel est à peu près le tableau de la fête de mai, autant que la table xLl° de Marini permet de s'en rendre compte : là même où les termes n'offrent pas de difficultés d'interprétation particulières, il est encore difficile de se reconnaître au milieu des allées et venues incessantes des officiants. Ce n'était pas seulement au mois de mai que les Arvales se réunissaient dans le bois sacré. Les opérations mêmes de leur service comportaient certains sacrifices expiatoires. Ainsi, pour graver sur le marbre les procès-verbaux de leurs séances, travail qui se faisait habituellement en avril ou mai, il fallait entrer dans le bois sacré et en sortir en portant des outils de fer : de là, sacrifice expiatoire, par le magister aidé d'un calator et des publiez', d'une truie et d'une brebis, avec offrande de gâteaux, tant au commencement (ob ferri inlationem) qu'à la fin de ce travail (ob Terri elationem et operis per fecti). Mais dès qu'il s'agissait de changements à apporter dans l'état du bois sacré, les cérémonies se multipliaient outre mesure. Fallait-il enlever et remplacer les arbres frappés par la foudre, abattus par la tempête ou détruits par la vétusté, fallait-il arracher un figuier poussé sur le faîte du temple, réparer l'édifice, refaire les autels de gazon épars dans le bois sacré ? le collége entier se réunissait pour assister, dès le commencement des travaux, à des suovetaurilia majora [sAcalFIcmux] et à des immolations d'animaux en l'honneur de toutes les divinités honorées, après Dea Dia, dans le bois des Arvales, et que pouvait irriter la moindre modification dans la physionomie de leur demeure. Voici la liste de ces divinités, qui appartiennent toutes à l'ancien culte Romain, tirée de la table xxvu° : Janus Pater, Jupiter; Mars; Juno Dea Dia; sive Deus sive Dea; Virgines Divae ; Famuli Divi ; Lares ; Mater Larum ; sive Deus sive Dea in cujus tutela hic lucus locusve est; Fons; Flora; Vesta ; Vesta Mater, Entre Flora et Vesta, la table xuii intercale Summanus pater2R. A chaque dieu, on immolait deux moutons, à chaque déesse deux brebis. On immolait encore deux brebis à Adolenda et Coinquenda'9, divinités des INDICITAMENTA qui présidaient à la combustion, à l'abattage, au débit et au transport des arbres condamnés du bois sacré. Enfin on sacrifiait au génie de l'empereur vivant, un taureau aux cornes dorées, et à chacun des empereurs divinisés, un bélier. Ces dernières immolations avaient lieu devant le Caesareum, les autres à l'autel de cha ARV = 453 ARY que divinité. Après l'ac èvement du travail, ces tueries d'animaux étaient renouvelées en présence du collége entier. 11 est reconnu aujourd'hui que les Frères Arvales n'avaient pas à s'occuper des AMBARVALIA. Mais, indépendamment des cérémonies appartenant au culte de Dea Dia, les Arvales, comme tous les autres colléges sacerdotaux, prenaient part à celles que la politique avait introduites dans la religion. Ainsi tous les ans, le ni des nones de janvier, ils invoquaient pour le chef de l'empire les divinités du Capitole : Jupiter, Junon et Minerve, et en outre Salus Populi, Salus Augusti, Providentia Deorum, Concordia, etc., et accomplissaient les sacrifices voués l'année précédente à pareille date. On immolait des boeufs aux dieux, et des génisses aux déesses. Les Arvales célébraient encore les DECENNALIA du prince, les anniversaires des jours où il avait pris la toge virile, reçu la puissance tribunitienne, le titre de père de la patrie, etc.; ils prononçaient des voeux publics pour le succès de ses campagnes ou de ses voyages, pour le rétablissement de sa santé, etc. Tous ces voeux étaient inscrits à leur date sur les murailles du temple de Dea Dia, de sorte que les Acta constituent un répertoire excellent pour la chronologie des trois premiers siècles, et ils ont permis de donner à bien des points de l'histoire, dans cette période, une précision que l'on rie rencontrait ni dans les médailles, ni dans les textes. Ajoutons que la plupart des personnages qui furent membres du collége des Arvales jouèrent un rôle important dans l'administration impériale, et que les Acta où ils sont nommés nous donnent des dates fixes dans leur existence. Ainsi la collection que Marini a faite de ces actes devait offrir à l'épigraphie romaine les ressources les plus précieuses, et c'est en étudiant et en classant cette collection, que Marini a effectivement jeté les bases de cette épigraphie. Le plus ancien des procès-verbaux du culte des Arvales, tiré des ruines d'Affoga l'Asino, est de l'an 14 de notre ère; le plus récent, trouvé à Rome, est de l'an 238; ce qui nous amène au règne de Gordien le Pieux. L'existence du collége s'est-elle prolongée au delà du moment où ses actes cessent de nous parvenir. Il est permis d'en douter. En dehors de ces actes, beaucoup d'inscriptions privées, également recueillies par Marini, mentionnent le titre de Frère Arvale : elles sont toutes antérieures à Gordien. A partir de ce prince, on ne voit plus les empereurs prendre la qualification d'Arvale, et Gordien est le plus récent de ceux dont les statues décoraient le Caesareum quand il fut dessiné au xvie siècle. Les auteurs, à partir du nie siècle, ne font plus mention de ce collége ; le dernier qui en ait parlé est Minucius Felix30. Ce concours de circonstances est trop marqué pour qu'on ne voie qu'un effet du hasard dans le silence fait tout à coup autour des Arvales. Marini a donc pu affirmer que, pour une raison d'ailleurs inconnue, le collége disparut au milieu du Ille siècle, et M. De' Rossi a adopté ces conclusions. C. DE LA BERGE.